Nombreuses
disciplines des sciences dures et sciences humaines ce sont
appropriées la notion de "terroir". Bien que toutes
ces disciplines produisent du savoir, permettant de comprendre au
mieux ce qu'est le "terroir",
le terme reste encore très débattu dans le milieu
scientifique. A travers le regard de quelques disciplines, nous
allons appréhender la notion de "terroir" , tenter
de la définir et s'intéresser à l'utilisation
du terme. Puis en s’intéressant à l'engagement des
vignerons, à leur travail sur "l'expression du terroir"
nous allons voir les tensions et les rapports de forces qui
émergent aux sein des interactions entre les producteurs de "vin
de terroir" et "vin naturel" .
I/ Comprendre la notion de "terroir": l'utilisation du terme une spécificité française
Historiquement
l'idée que la qualité du vin soit cautionnée par l'origine
géographique de celui ci a toujours jalonné la viticulture. Et a
amené à penser des "certifications territoriales de la
qualité des produits agroalimentaires" à travers une
reconnaissance politique des territoires ( politique de
territorialisation des régions). Aujourd'hui le terroir est vu comme
un espace vivant et innovant, pris dans des normes environnementales
jugées acceptables et des critères socio-économiques subjectifs (
INRA & INAO). Le terroir se retrouve alors normalisé par les
notions "Appellations contrôlées" vues comme les
garantes de la qualité du vin.
On
observe aujourd'hui une augmentation de la consommation des vins
labellisés. Puisque dans l'imaginaire social, les appellations sont
gages de qualité, les consommateurs suivent ces logiques. Bien que
socialement et historiquement le " terroir" fut
construit comme un atout majeur dans la Production et la Consommation
du vin, peut d'acteurs savent expliquer la corrélation entre le
terroir et la qualité d'un vin, où plus précisément son impact
sur la qualité des vins.
Il faut
savoir aussi que le terme " terroir" et l'ensemble
des enjeux agronomiques et sociétaux que véhicule la notion, n'a
pas d'équivalent dans les autres langages viticoles ( Anglais,
Espagnol, Italien). L'utilisation du terme " terroir"
dans le langage viticole et le langage commun français reflète
une évolution culturelle du concept, spécifique à la France. Où
le terme " terroir" s'applique dans une dynamique
locale ou régionale.
Le terme
"terroir" ballote entre simplifications agronomiques
et complexités socio-économiques, une polysémie difficile à
saisir qui englobe à la fois des facteurs biotiques
(géomorphologique, climatologique, biogéographique..) et une
dimension anthropique complexe (modélisation du vivant). Cette
confusion qui entoure le terme " terroir" trouve
aussi sa source dans l'appropriation et l'utilisation de la notion
par les acteurs sociaux, de la production et de la consommation.
En France
dans les années 60, le terme " terroir" se voit
associé à une connotation négative dans la sphère sociale. Le mot
"terroir" fut le porteur des stéréotypes d'une "
ruralité démodée" voir " retardée" en
opposition à l'espace urbain "notateur" et
"moderne", terminologie révélatrice d'une
dichotomie entre " espace urbain" et "
espace rural" de l'époque, qui persiste encore aujourd'hui.
Cependant
dans les sciences, la géographie et la taxonomique des espaces étant
les premières disciplines à s'approprier la notion de "
terroir", ont véhiculé autour de celle ci des
représentations valorisantes du milieu rural. Le sortant de cette "
fixité" qui lui était associé et ont témoigné de ses
dynamiques ainsi que son renouvellement constant.
Cette
dichotomie entre " espace rural" et " espace
urbain", pendant la révolution industrielle, rend le
concept de " terroir" confus. En 1968, la Commission
de géographie rurale définit le terroir comme un "
territoire présentant certains caractères qui le distingue au point
de vue agronomique des territoires voisins". Cette
définition adoptée dans le milieu scientifique, met l'accent sur la
pluralité des terroirs et leurs identités liées à leur biome. Et
qu'un "terroir" s'identifie en comparaison à un
autre, ce qui amène à voir les relations d'interdépendance des
terroirs.
Bien que
la définition date de 1968, l'usage du terme " terroir"
remonte à plus loin. En 1212 il était employé au sens agraire
de terme et était considéré comme un synonyme de "
territoire". Puis en 1601, Olivier de Serres se réapproprie
cette notion dans l'optique de donner des bases rationnelles à
l'agriculture. Il théorise les liens entre les types de terroir et
les types de culture, dans son ouvrage; " Le fondement de
l'agriculture est la connaissance du naturel des terroirs que nous
voulons cultiver". Le concept de " terroir"
évoque alors la "terre" et est envisagé comme
un espace productif. Il introduit aussi une réflexion sur les liens
entre les conditions climatiques et les environnements humanisés,
agraires et agricoles. Ce qui nous amène à penser aujourd'hui
l'influence de la technicité et l'intervention humaine sur les
caractéristiques du terroir et sur l'identité des vins, que nous
aborderons plus tard.
En 1997,
J Maby , quant à lui, met en avant l'importance de replacer le "
terroir" dans son contexte. En effet le " terroir
agronomique", dont le particularisme n'est pas contestable à
l'instar de son impact sur le goût du vin, ne donne pas de la valeur
au vin. Mais c'est la valeur du vin, construite dans la sphère
sociale qui donne sa valeur au terroir. C'est l'esthétique
socio-culturelle de "goût" qui a permis la
construction des hiérarchisations des " faits naturels"
que sont les terroirs. La notion de "terroir" est
alors vue comme une conséquence culturelle des pratiques de "
savoir boire".
En ce qui
concerne le "savoir boire", la neurophysiologie, qui
est la science du goût s'accorde à définir le "terroir"
comme étant un processus de perception et de transformation d'un
stimulus gustatif (arôme, goût) par l'individu et qui est traité
par le système neurologique afin de l'associer à une image
sensorielle. Tout le processus de perception et de transformation
dépend de facteurs extérieurs, tels que des facteurs
psychologiques, sociaux et culturels.
Ici nous
pouvons dire que le goût est une construction socio-culturelle. Si
la construction socio-culturelle du goût vous intéresse il existe
de nombreuses études anthropologiques, biologiques et
psychanalytiques sur la perception du goût et des saveurs, et sur
les liens entre les perceptions gustatives et l'environnement
nutritionnel.
Pour
évincer ces influences extérieures lors de la dégustation, la
neurophysiologie met en place un protocole de dégustation à
l'aveugle. Cette méthode permet de verbaliser la perception
biologique et sensoriel du stimulus gustatif.
En effet le goût et l'odorat ont des propriétés qui font d'eux des "sens chimiques", grâce à des récepteurs (des protéines) disposés sur leurs cellules sensorielles, les molécules génératrices d'odeurs et de saveurs sont identifiées puis, l'information est transmise aux cellules sensorielles. "Les cellules réceptrices gustatives et les fibres nerveuses qui conduisent leurs signaux jusqu'aux cellules sensorielles" ne sont pas "sensiblement sélectives". C'est un "mécanisme de codage plurineuronal qui détermine la saveur" ( A. Holley). Le sens gustatif et le sens olfactif, bien qu'il s'y prête moins, permettent d'identifier les saveurs et permettent la formulation des catégories de sensations et des catégories de saveurs ou de goût.
En effet le goût et l'odorat ont des propriétés qui font d'eux des "sens chimiques", grâce à des récepteurs (des protéines) disposés sur leurs cellules sensorielles, les molécules génératrices d'odeurs et de saveurs sont identifiées puis, l'information est transmise aux cellules sensorielles. "Les cellules réceptrices gustatives et les fibres nerveuses qui conduisent leurs signaux jusqu'aux cellules sensorielles" ne sont pas "sensiblement sélectives". C'est un "mécanisme de codage plurineuronal qui détermine la saveur" ( A. Holley). Le sens gustatif et le sens olfactif, bien qu'il s'y prête moins, permettent d'identifier les saveurs et permettent la formulation des catégories de sensations et des catégories de saveurs ou de goût.
II/ Faire "s'exprimer le terroir": un travail hétérogène:
En ce qui
concerne la réflexion sur l'influence de l'intervention humaine et
technique ainsi que l'impact des caractéristiques du terroir sur
l'identité des vins, il faut savoir que depuis les années 1970, les
recherches sur la relation entre le terroir et la qualité du vin se
multiplient. Deux géographes, R. Dion (1952) et R.Pijassou (1978)
ont animé les débats autour de la notion. C'est deux auteurs
témoignent de la multiplicité des visions de l'impact et le rôle
du terroir sur l'identité du vin. En effet R.Dion , incarnant ce que
l'on appel le Possibilisme Vidalien, met en avant le rôle central du
travail du viticulteur, qui s'adapte aux conditions naturelles, dans
l’élaboration de l'identité du vin. Il prend en compte aussi le
rôle culturel des appellations et l'importance de la réputation du
vignoble dans cette construction identitaire des vins.
R
Pijassou quant à lui, envisage le "terroir" comme
une donnée naturelle complexe associant " modelé, sol et
substratum". Il légitimise le rôle du terroir dans la
construction identitaire des vins, à travers des approches
agronomiques et pédologiques. Il établis une comparaison détaillées
des vins produits dans différents domains, proches géographiquement
parlant ( vignoble Bordelais , Médoc).
Ces deux
auteurs témoignent de deux représentations du " terroir"
et deux représentations du "Travail viticole",
distinctes. Ces auteurs, comme référent, nous permettent de nous
interroger sur le sens émic, c'est à dire le sens que donne
l'ensemble des acteurs de la production et de la consommation de vin,
des représentations du " terroir" et du "travail
viticole". Ces différentes approches nous permette aussi
d'élargir notre réflexion ,sur le terroir et son rôle dans la
construction identitaire des vins, à travers l'étude d'une pratique
contemporaine nouvelle: la production de "vin naturels".
Aujourd'hui
en plus du "vin de terroir", un autre vin à
l'identité particulière se démocratise: le " vin naturel".
La notion de "vin
naturel" est une catégorie
socio-historique construite à l’instar de "vin de
terroir" ( P Cohen). Elle
se différencie par "la non-intervention technique et
humaine" dans le processus
de production du vin. C'est après la seconde guerre mondiale, que J.
Chauvet ( 1909-1989) influence fortement la viticulture française en
se réappropriant la notion de " Vinification
Naturelle", que nous
connaissons actuellement. Même si la pratique se démocratise les
"vins naturels"
n'ont pas de définitions juridiques.
Pour
les " Vignerons naturalistes",
leur travail découle directement d'un réel engagement militant:
s'effacer au profit de pratiques et de techniques artisanales et
naturelles; sans intrants tel que le soufre qui masque et modifie
"l'expression du terroir" par
exemple. Pour eux le "terroir"
est un " partenaire" de
l'élaboration du vin. Le" terroir" est
un " acteur"
direct et essentiel de la production et du travail des vignerons. Car
c'est le" terroir"
qui donne son identité au vin. L'intervention humaine dans la
production du vin se doit "d'être discrète",
voir "superflue".
Nous
l'avons vu, nous ne pouvons pas appréhender dans son ensemble la
notion de " terroir" sans s'intéresser au sens
émic, et à l'utilisation du terme par les vignerons. C'est
J. Fannet qui s'intéresse au "lien subtil entre le
terroir et le vigneron",
car l'homme joue un rôle révélateur du terroir.
En
effet les vignerons font, à travers leur travail,
"s’exprimer le terroir" le
révélant alors. " L'expression du terroir"
est le résultat du travail de production, qui englobe à la fois
l'engagement du vigneron, son éthique, son savoir-faire, ses
compétences, ses techniques, son vignoble et la météo.
"L'expression du terroir" est une mise en forme et
en valeur de ses propres caractéristiques, qui présupposent des
choix, c'est à dire une intervention humaine, avec des degrés
d'interprétation différente suivant les producteurs.
Ce
travail sur "L'expression du terroir", propre
à chaque viticulteur, permet
de saisir la diversité des pratiques culturales et
œnologiques. Cette hétérogénéité est un moyen d'identification,
car elle permet aux productions de se distinguer. En effet l'ensemble
des pratiques, des savoir-faire et des techniques qui caractérisent
le procédé de fabrication (levurage, fermentation,
acidification...) ,choisi par le producteur, donne au vin sa "
signature", c'est à dire l'identité, la typicité du vin.
Évidement
l'ensemble des facteurs qui entrent en compte dans la fabrication
identitaire des vins, quelle que soit la production, est en constante
évolution. Ainsi l'exploitation peut se renouveler et perdurer.
III/ Regard sur l'inter-relation et les rapport de force entre les acteurs:
Précédemment
nous avons vu que le "terroir" se défini, en
partie, par l’hétérogénéité des pratiques, L'étude
comparative de l’éthique des productions de "vin de
terroir" et "vin naturel" met en évidence
que cette hétérogénéité est source de tensions et qu'au sein des relations entre les acteurs ,de ces productions, s'opère des
rapports de force. C'est l'anthropologue R. Ulin qui
réintroduit l'importance de l'étude de "l'Historicité des
liens sociaux" dans la pratique de production et de
consommation du vin. En effet ces liens sont révélateurs des
relations asymétriques entre les différents acteurs de la
production.
Les
producteurs avec des visions différentes du "terroir",
des visions différentes de leur "travail" sont
en concurrences et cohabitent difficilement. Souvent marginalisés,
les producteurs de "vins naturels", à
cause de leur "engagement naturalistes" et
ne respectant pas le consensus normatif que sont les AOC, sont exclus
des réseaux et des appellations.
Cependant
malgré leur " marginalisation" les
"vins naturels"
et "l'engagement que portent les vignerons
naturalistes" à travers
leur travail connaissent, à l'instar de l'agriculture artisanal dans
son ensemble, un fort engouement auprès des consommateurs européens
et nord-américains.
Mélissa CURRAO
Pour citer l'article:
Mélissa CURRAO, " Comment choisir son vin: Réflexion sur le "terroir" à travers la construction identitaire des vins. Première partie", in Seiko et la cuisine durable, 2018
Sources
C. Crenn,
Anthropology
of food " Le vin comme objet de recherche
anthropologique",compte
rendu
de lecture : "Wine and Culture: Vineyard to Glass" ( 2013)
Robert Ulin & Rachel Black, 2015
G Teil, "Quand les acteurs se mêlent d'ontologie" in
Revue d'anthropologie des connaissances, Vol 5, SAC, 2011, p 437-462
E. Rouvellac, " Le terroir, essai d'une réflexion géographique
à travers la viticulture", sd Hélène Velasco-Graciet et
Philippe Allee , Université de Limoges, 2013, pp 5-97.
A. Holley, "Regard
biologique sur l’odorat et le goût"
in Cahiers jugiens de psychanalyse, N°122, 2007, p 15-27
B. Simmen, C M Hladik, "Perception gustative et
adaptation à l'environnement nutritionnel des Primates non-humains
et des populations humaines" in Bulletins et
Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 1993, pp 343-354
J.
Fannet, "Les terroirs du vin", Hachette, 2008, 239
p.
R. Dion,
"Querelles des anciens et des modernes sur les facteurs de la
qualité du vin", Annales de géographie, n° 258, 1952, pp
417-431.
R. Dion
(1959), "Histoire de la vigne et du vin en France, des
origines au 19ème siècle", Paris, Flammarion, 1990, 768
p.
O.
De Serres (1601), "Théâtre d’Agriculture et Mesnage des
champs", Slatkine, Genève, 1991.
E. Lebon
(1993), "De l’influence des facteurs pédo et
mésoclimatiques sur le comportement de la vigne et les
caractéristiques du raisin, application à l’établissement de
critères de zonage des potentialités qualitatives en vignoble à
climat semi-continental (Alsace)", Université de Dijon,
thèse de doctorat en géologie, 163 p.
R.
Pijassou (1980), "Un grand vignoble de qualité, le Médoc,
Bordeaux", Université de Bordeaux 3, Thèse de doctorat
d’Etat, 1978. Paris, éd. Jules Taillandier, 1476 p.
J. Maby,
"Le vin, argument identitaire du territoire", Actes des
journées d’études : « Pour une nouvelle géographie du vin »,
Société géographique italienne, Rome, 2004, 11 p.
J. Maby
(1997), "Terroirs agressés", Revue des œnologues,
n°84, Chaintré, Bourgogne Publications, pp 3-5.
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